Dans
le cadre de la préparation des orientations budgétaires
communautaires pour la période 2014-2020, la réforme de la
Politique Agricole Commune (PAC) est à l'ordre du jour depuis que la
Commission européenne a présenté ses orientations générales pour
la PAC en novembre 2010. Depuis, d'autres jalons ont été posés par
la Commission, avec des propositions budgétaires (juin 2011)
complétées par sept propositions de règlements concernant la PAC
(12 octobre 2011).
La
PAC, la plus significative des politiques européennes mise en oeuvre
en 1962 pour garantir l'indépendance alimentaire de l'Europe
d'après-guerre, a fait l'objet d'un certain nombre de modifications.
En 1984, ce fut l'instauration des quotas laitiers. Puis en 1993, ce
fut la fin progressive du soutien aux prix. En 2003, une nouvelle
réforme introduisit les problématiques environnementales. Le Bilan
de Santé de la PAC (2008) ne fut que le coup d'envoi d'une vaste
consultation auprès des États membres sur les mesures à mettre en
oeuvre pour préparer l'après 2013. Aucune de ces réformes n'a
néanmoins vraiment remis en cause le niveau des fonds alloués par
la PAC. De ce point de vue, le projet de réforme de la Commission
vise clairement à diminuer
le montant alloué à la PAC pour la période 2014-2020 mais
également à en modifier la répartition et les priorités.
La
réforme de la PAC revêt un enjeu essentiel dans un contexte de
hausse croissante de la demande à l'échelle internationale, d'une
compétitivité de l'agriculture européenne qui décroît
progressivement et perd des parts de marché à l'export
extra-communautaire et de la multiplication des normes auxquelles les
agriculteurs doivent se soumettre alors que les structures datent
encore des lois de modernisation des années 60. L'enjeu est
également important pour certains États membres dont les subventions dépendent de leur part dans la production agricole européenne. Comme la France,
qui est la première bénéficiaire, avec 19,2% de l'ensemble des crédits. Mais
également l’Espagne (environ 13,6 %, l'Allemagne (environ
12,7%), l’Italie (environ 10,4 %) et le Royaume-Uni (environ
7,3 %). Ces États s'inquiètent du projet de la Commission de
transférer une grande partie des financements vers les nouveaux
États membres d'Europe de l'Est.
Le
budget agricole au coeur du débat européen
Les
nouvelles orientations de la PAC font actuellement l'objet de
discussions au Parlement européen et entre les 27 États membres de
l'UE, en vue d'une adoption prévue pour la fin 2013. La PAC
représente environ 57 milliards d'euros par an, soit 40,8% du budget
total de l'UE (Source
: Commission européenne – budget 2012).
Le
1er pilier (Aides directes aux agriculteurs) représente 44
milliards, soit 70% de la PAC ;
Le
2e pilier (Mesures de développement rural) représente 13
milliards, soit 20% de la PAC ;
Le
3e pilier (Subventions à l'exportation aux entreprises
agro-alimentaires), 10% de la PAC.
La
Commission a proposé pour la période 2014-2020 une enveloppe
globale de 371,72 milliards d'euros alloués à la PAC, ce qui ferait
diminuer la part du budget agricole de 40% à 36,2% du budget
européen. C'est la première fois qu'une diminution si nette du
budget de la PAC est proposée. Le
24 avril 2012, lors du Conseil Affaires générales, l'Irlande et la
France ont indiqué qu'elles souhaitaient au moins le gel du montant
des dépenses de la PAC au niveau de 2013, alors que d'autres pays,
comme la Suède, souhaitent réduire le budget agricole allant
jusqu'au démantèlement progressif des aides agricoles. Les
agriculteurs français reçoivent environ 10 milliards d'euros par an
d'aides agricoles de l'Union européenne, dont 85 % issus du premier
pilier. La tendance à la baisse semble cependant inéluctable avec
l'élargissement de l'UE.
1er
pilier : un soutien aux agriculteurs en baisse
Sur
les 371,72 milliards d'euros alloués à la PAC pour la période
2014-2020, 281,8 milliards d'euros seraient destinés à des
paiements directs et à des mesures de marché pour soutenir les
agriculteurs, contre 289 milliards d'euros dans le budget actuel. La
diminution des crédit se ferait de manière progressive avec un
budget annuel qui passerait de 42,2 milliards d'euros en 2014 à
38 milliards d'euros en 2020.
2e
pilier : le soutien au développement rural diminuerait
Le
reste du budget de la PAC, alloué au développement rural,
diminuerait également (89,9 milliards d'euros sur la période
2014-2020, par rapport aux actuels 96 milliards d'euros) faisant
ainsi passer le budget annuel pour le 2e
pilier de 13,6 milliards d'euros en 2014 à 12 milliards d'euros en
2020.
PEAD
et autres programmes
Ces
financements seraient accompagnés d'un fonds de 15,2 milliards
d'euros destiné à divers projets dont la recherche et l'innovation,
l'aide alimentaire aux plus démunis (PEAD) et une réserve
supplémentaire pour pallier d'éventuelles crises du secteur
agricole.
Une
nouvelle répartition budgétaire
Vers
un système de convergence des régimes de paiement (1er pilier)
La
réforme comprend un système de convergence afin de lutter contre
les disparités entre les agriculteurs de l'Ouest et de l'Est de
l'Europe. Les disparités sont réelles : en 2009, les aides à
l'hectare allaient de 45 euros pour la Roumanie à 292 euros pour la
France et s'élevaient jusqu'à 340 euros pour l'Allemagne. Il est
certes excessif de dire que le projet de réforme présenté par la
Commission ferait « passer à l'Est » les aides directes
aux agriculteurs. Néanmoins, lors de la dernière réunion des
ministres européens de l'Agriculture le 26 avril, la Roumanie,
l'Estonie et le Portugal ont plaidé pour une plus grande égalité
de traitement. Selon le commissaire européen à l'Agriculture,
Dacian Ciolos, il s'agirait d'ajuster les enveloppes nationales
destinées aux paiements directs afin que « tous
les États membres qui bénéficient de paiements directs inférieurs
à 90 % de la moyenne européenne réduisent d'un tiers
l'écart qui les sépare de ce seuil au cours de cette période ».
Pour les pays qui reçoivent actuellement des paiements supérieurs à
la moyenne, la contribution minimum nécessaire à l'équilibrage des
niveaux de paiements entre les 27 pays européens s'élèverait à
1 %. « Pour
les pays bénéficiant des paiements les plus importants, la
diminution maximum s'élèvera à environ 7 % »
car la France, l'Italie, l'Allemagne et la Belgique souhaitent éviter
une soudaine diminution des aides destinées à leur agriculture
respective
D'après
la réforme, les différents systèmes du régime de paiement vont
aussi être harmonisés après 2013. Jusqu'à présent, il y avait un
régime de paiement à la surface, d'autres qui autorisaient les
références historiques, les paiements par hectare, ou une
combinaison « hybride » des deux). Afin de réduire les
écarts qui existent entre les niveaux de paiement, un système
unique de paiement par hectare serait appliqué d'ici au début 2019.
Plafonnement
de l'aide directe pour les grandes exploitations
La
Commission prévoit également de plafonner l'aide directe au revenu
pour les grandes exploitations qui, selon elle, « reçoivent
une part disproportionnée de l'aide directe au revenu de la PAC ».
Cette proposition consiste en la réduction progressive des plafonds
de paiements à partir de 150 000 € — avec un
plafonnement maximum fixé à 300 000 € par an et par
exploitation. Cependant, ces plafonnements interviendraient seulement
après la déduction d'une partie du salaire et des coûts de
sécurité sociale. La République Tchèque, la Suède et le
Royaume-Uni ont marqué leur opposition à un tel plafonnement.
Plus
de souplesse dans le co-financement du Fonds de développement rural
(2e pilier)
Les
paiements directs du premier pilier sont normalement financés à
100 % par l'UE, alors que le deuxième pilier (mesures de
développement rural) est cofinancé par les États membres. La
Commission propose d'autoriser les États membres qui perçoivent des
paiements directs inférieurs à 90 % de la moyenne européenne
à transférer jusqu'à 5 % de leurs Fonds de développement
rural à leur enveloppe nationale du premier pilier, qui fournit une
aide directe au revenu pour les agriculteurs. Dans le même temps,
tous les États membres pourraient transférer jusqu'à 10 % de
leurs subventions nationales du premier pilier à leur enveloppe de
développement rural (le deuxième pilier). Ce qui plutôt une bonne
chose.
Les
clés de la réforme proposée : de nouvelles priorités
La
gestion du marché et des OCM
Les
Quotas (Lait, Vin, Sucre)
Certains
quotas vont expirer prochainement : les quotas sur le lait en 2020 et
les droits de plantation des vignes au 1er janvier 2016 (ou, au plus
tard pour les États qui veulent encore les maintenir provisoirement,
en 2018) avec toutes les conséquences qu'une libéralisation totale
des droits de plantation va entraîner en perturbant le marché
vinicole et les territoires concernés. La Commission souhaite
également que soit abordé la question du dernier régime de quotas
encore en vigueur, celui sur le sucre. Le système européen pour les
quotas de production de sucre et les prix minimums devrait toucher à
sa fin d'ici au 30 septembre 2015. Cette mesure s'accompagnera de
diminutions des tarifs d'importation.
Les
filets de sécurité
Il
existe actuellement des systèmes d'intervention publique et d'aide
au stockage privé pour assister les producteurs lorsque les
conditions du marché sont difficiles. Ces systèmes devraient être
révisés. Une nouvelle clause de sauvegarde sera normalement
introduite pour permettre à la Commission de prendre des mesures
d'urgence face à des perturbations du marché, comme celles qui ont
suivi la crise des E.coli en mai-juin 2011.
Soutien
aux organisations interprofessionnelles
Afin
d'améliorer la position de négociations des agriculteurs dans la
chaîne alimentaire, la Commission propose de soutenir et de
développer des organisations interprofessionnelles, ou des groupes
de producteurs. Elle propose également de soutenir la vente directe
du producteur au consommateur.
Le
développement rural (2e pilier)
Pour
remplacer les trois axes fondés sur les questions économiques,
environnementales et sociales encadrés par des exigences de dépenses
minimum, la Commission propose désormais 6 priorités :
L'incitation
au transfert de connaissance et d'innovation ;
L'amélioration
de la compétitivité ;
La
promotion de la gestion de la chaîne alimentaire et des risques ;
La
restauration, la préservation et l'amélioration des écosystèmes ;
La
promotion de l'utilisation efficace des ressources et la transition
vers une économie à faible émission de carbone ;
La
promotion de l'inclusion sociale, de la réduction de la pauvreté
et du développement économique dans les zones rurales.
Les
États membres devraient allouer 25 % de leur enveloppe pour le
développement rural pour des questions relatives à la gestion des
sols ainsi qu'à l'adaptation et à la minimisation des risques liés
au changement climatique.
Le
respect de l'environnement
Les
propositions de la Commission mettent également l'accent sur les
mesures environnementales, en conditionnant 30 % des paiements
directs de la PAC à trois mesures de « verdissement »
visant à inciter les agriculteurs à respecter certaines règles
liées à l'environnement et au bien-être animal.
Les 3 mesures de « verdissement » :
Le
maintien des pâturages permanents.
La
diversification des cultures. Les agriculteurs devront prévoir au
moins trois cultures différentes sur leurs terres arables. La plus
large d'entre elles pourra occuper jusqu'à 70 % des terres,
contre au moins 5 % pour les deux autres cultures.
Le
maintien d'une « zone réservée à l'écologie » d'au
moins 7 % des terres agricoles — à l'exception des prairies
permanentes — avec des lisières de champs, des haies, des arbres,
des terres en jachère, des paysages, des biotopes, des bandes
tampons ou des zones de reboisement.
Il
risque d'en résulter une réduction des terres cultivables. Les
agriculteurs sont de plus en plus confrontés à la rareté : terres
disponibles, mais aussi eau et ressources naturelles. Certains
agriculteurs innovent déjà en regroupant par exemple certains
outils de production ou en pratiquant l'assolement des terres en
commun. Leur imposer encore davantage de règles dans ce contexte
est-il une bonne chose ?
D'autant
que certains craignent que ces contraintes ne soient synonyme d'un
fardeau administratif supplémentaire pour les agriculteurs. La
Hongrie, le Portugal et l'Espagne ont fait part de leurs réserves
car ils jugent ce seuil de conditionnalité de 30% trop élevé.
L'ancien ministre français de l'Agriculture Bruno
Le Maire, avait récemment déclaré que si la France soutenait le
principe du verdissement des subventions de la PAC, il a néanmoins
insisté sur le fait que ce système devrait « être simple,
comporter des facteurs incitatifs et prendre en compte des
considérations budgétaires, la réalité économique des
exploitations agricoles et permettre d'alléger le fardeau
administratif ». Selon lui, les propositions de la Commission
ne répondent pas à ces objectifs. Le Royaume-Uni et la Suède
partagent cette analyse et disent craindre que cette mesure de
conditionnalité ne constitue un fardeau administratif supplémentaire
pour les agriculteurs européens.
Une
réforme qui risque de passer à côté de l'essentiel
Les
propositions de réforme de la PAC semblent répondre aux objectifs
de distribution plus juste du budget agricole et de promotion des
pratiques agricoles plus respectueuses de l'environnement. Néanmoins
deux aspects en sont absents : la complexité administrative de cette
politique et la nécessité d'améliorer la compétitivité du
secteur agricole européen.
Les
normes toujours plus nombreuses à respecter s'apparentent de plus en
plus à un fardeau administratif pour les chefs d'exploitations
agricoles. Le
fonctionnement même de la PAC fait débat. Se basant sur le projet
présenté par la Commission, la Cour des comptes européenne a émis
un avis le 17 avril 2012 – certes non contraignant – mais
indiquant que les propositions pour 2014-2020 ne simplifient pas les
règles et que le cadre réglementaire de cette politique demeure
trop complexe : « Malgré
l’accent prétendument mis sur les résultats, la politique reste
essentiellement fondée sur les dépenses et le contrôle portant sur
celles-ci ; elle privilégie donc la conformité plutôt que la
performance »,
observe la Cour, qui va plus loin en soulignant la complexité des
propositions retenues, en particulier celles concernant le paiement
des aides directes, qui pourrait faire l'objet d'abus. Selon la Cour,
avec la
définition d'« agriculteurs actifs » retenue par la
Commission, « des paiements risquent de continuer à être
versés à des bénéficiaires qui n’exercent aucune activité
agricole ». La Cour souligne que la réforme pourrait engendrer
15% de coûts de gestion supplémentaires dans le régime des paiements directs. Il n'y a
pas non plus d'incitation pour encourager les jeunes actifs à se
tourner vers le secteur agricole. Le Comité des Régions va plus
loin en souhaitant une approche totalement différente avec une PAC
qui soit plus proche des réalités territoriales, et que les
autorités régionales aient un rôle accru dans la mise en oeuvre de
la politique agricole. En France, ce point de vue n'est pas partagé.
La FNSEA y voit le risque de développer, par exemple en France, « 22
petites PAC » régionales, d'autant que la situation financière
de certaines régions pourrait poser des difficultés pour le
co-financement de ces projets et ainsi pénaliser les agriculteurs
des régions les moins favorisées.
Le
second aspect qui n'est pas pris en compte est la nécessité
d'améliorer la compétitivité de ce secteur par rapport aux autres
puissances agricoles extra-communautaires. L'Union européenne,
vivement critiquée par les pays tiers, a cédé sous l'impulsion de
l'OMC, sur les aides directes couplées et les subventions à
l'exportation, à l'origine de distorsions de concurrence. Et le
résultat n'a été que d'ouvrir massivement les frontières du
marché unique à des produits agricoles extra-communautaires moins
chers et ne respectant pas les mêmes normes, notamment sanitaires.
Le résultat est que l'UE qui avait l'un des secteurs agricoles les
plus performants au monde, continue à subventionner un secteur, dont
la production est beaucoup plus encadrée et de moins en moins
compétitive en termes de prix. Et les désaccords États-Unis - UE
sur les questions agricoles persistants, les négociations du "cycle
de Doha" sont aujourd'hui au point mort, ce qui n'arrange rien.
La
question qu'il nous faut poser est de savoir si l'agriculture
européenne ne souffre pas d'un manque de véritable stratégie
sectorielle. Pour compenser la perte de compétitivité, ne
faudrait-il pas des règles plus simples pour nos agriculteurs ?
L'agriculteur européen est devenu un chef d'entreprise alors que le
secteur agricole est encore encadré par des lois de modernisation
datant des années 1960. Il doit nécessairement rester compétitif
malgré des règles de plus en plus exigeantes Un agriculteur qui
souhaite s'agrandir pour faire face à une concurrence accrue dans un
monde ouvert, doit faire face à des contrôles inadéquats et sa
liberté d'entreprendre est constamment entravée.
Entravée
par une volatilité et une instabilité des prix des matières
premières agricoles. A titre d'exemple, entre le 9 mai et le 5
décembre 2011, les cours du blé sur Euronext sont passés de 267 à
180€ la tonne. Le marché agricole est devenu fluctuant.
Entravée
par une notion d'agriculture longtemps productiviste les obligeant à
investir dans du matériel de plus en plus coûteux.
Entravée
par la difficulté à obtenir un prêt bancaire soit pour investir,
soit justement pour faire face à certains aléas conjoncturels. La
plupart des exploitations qui sont mises en dépôt de bilan le sont
par manque de liquidité et la difficulté à obtenir un prêt.
Entravée
par une fiscalité qui ne prend pas en compte les aléas
conjoncturels (taxe sur les bénéfices agricoles, taxe sur le
chiffre d'affaire...).
Entravée
par des modes de consommation standardisés imposés par la grande
distribution.
Pour
sauver la PAC, il ne s'agit donc pas uniquement d'apporter une plus
grande équité entre les États membres, d'introduire des normes
environnementales supplémentaires et de prononcer le mot
compétitivité comme une incantation. Comment oser dire à un
agriculteur qu'il doit être plus compétitif alors qu'il est
confronté à la fin des barrières douanières du Marché Unique et
que dans le même temps, il doit respecter toujours plus de normes
contrairement à ses concurrents extra-communautaires ? Il s'agit
donc aussi de simplifier les règles de fonctionnement de la PAC, de
ne pas multiplier les normes, adopter une véritable stratégie
sectorielle qui prenne en compte les difficultés actuelles des
agriculteurs européens et de ne pas entraver leur liberté
d'entreprendre. Sans quoi, cette réforme de la PAC 2014-2020 ne sera
qu'un ajustement supplémentaire et non une réforme d'envergure.