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lundi 8 novembre 2010

Les improbables ressources propres de l'Union européenne

L'époque est à la restriction budgétaire – on le comprend – mais également au recul du degré d'ambition pour l'Europe. Ce sentiment n'est pas nouveau. L'Europe en a vu d'autres. Toutefois les réactions actuelles à l'égard de l'Union européenne laissent songeur. Plus inquiétant, ce sont les jeunes qui se montrent les plus eurosceptiques. C'est comme si on reprochait à l'Union européenne de ne pas aller assez vite et qu'on s'en détournait aussitôt pour cette raison, sans pour autant lui donner les moyens d'aller plus vite. Il ne s'agit pas d'aimer ou pas la construction européenne. Le débat n'est plus là. Il s'agit d'améliorer ce qui existe et d'avancer.

La question des ressources de l'Union européenne – et donc de ses moyens pour agir – est centrale. Particulièrement dans une période économique difficile. Aussi, la question n'est pas d'augmenter la participation de chaque État-membre au budget communautaire mais de laisser celui-ci se procurer de nouvelles ressources. Une taxe sur les voyages en avion, une TVA européenne, un impôt sur les sociétés, une taxe sur les ventes de quota d'émission de gaz à effet de serre, une taxe énergétique voire une taxe sur les transactions financières. Les idées ne manquent pas mais se heurtent finalement à des visions paradoxales.

  • Les plus fermes opposants rétorquent qu'en cette période de déséquilibre des comptes publics, ce n'est pas le moment d'accroître les ressources de l'UE. Mais avoir une telle vision, c'est considérer que seuls les États-membres doivent être les créditeurs de l'UE. Le problème doit être considéré différemment. Augmenter les ressources propres ne doit plus être forcément synonyme d'une augmentation de la participation des États-membres. Laissons l'Europe se procurer elle-même une part de ses ressources (comme ce fut le cas à ses débuts) sans que cela impacte la dite participation des États-membres.
  • D'autres indiquent que les projets doivent précéder la fiscalité, et non pas l'inverse et que l'Europe doit avoir une gestion plus rationnelle de ses ressources. C'est signifier que l'Europe n'a pas de nouveaux projets qui soient suffisamment crédibles pour légitimer une augmentation de son budget. Erreur ! Il y aurait tant à faire : un brevet européen, des gros projets d'infrastructures transnationaux, davantage d'investissements dans la recherche ou les technologies et services « verts », futurs vecteurs d'emploi. Ce n'est pas les projets qui manquent, c'est le budget. Et quant à la rationalité, c'est remettre en cause la répartition des dépenses affectées pour telle ou telle politique communautaire – et ce – avec l'agrément du Conseil, c'est à dire les États membres. Paradoxe.
  • Il y a enfin les modérés qui ne seraient pas opposés à l'idée d'une fiscalité européenne mais qui pointent notamment le poids que pourraient avoir de nouvelles ressources propres dans certains secteurs, dont celui des transports, en particulier visé par l'instauration d'une taxe sur le transport aérien.

Le 19 octobre 2010, la Commission Européenne publiait un communiqué dans lequel il était indiqué que le budget communautaire actuel est « un mélange opaque et confus de contributions des budgets nationaux, de corrections et de rabais ». Plusieurs pistes ont été avancées par le commissaire en charge du Budget, le Polonais Janusz Lewandowski. La France a fait savoir que l'idée d'un impôt européen était "parfaitement inopportune". L'Allemagne s'est déclaré franchement hostile à tout « impôt européen ».

Les questions fiscales étant décidées à l'unanimité des Vingt-Sept États-membres, le Parlement européen, fort de ses nouvelles compétences issues du Traité de Lisbonne, a voté le budget 2011 de l'UE (130,14 milliards d'euros de crédits de paiement et 142,65 milliards d’euros de crédits d'engagement) soit à peine 0,2% d'augmentation au lieu des 0,6% préconisés par la Commission. Donc aucune évolution réelle. Les députés européens ont donc posé dernièrement un ultimatum. Accepter la stagnation du budget communautaire à la seule condition d'un engagement des 27 à ouvrir le débat des ressources propres, dans le cadre d'une réflexion sur la réforme du budget européen à partir de 2014. Comme prévu, la passe d'arme avec le Conseil ne s'est pas fait attendre. A l'issue du vote, la présidence belge de l'UE a convoqué le comité de conciliation sur le budget de l'année prochaine, prévu à partir du 26 octobre, pendant 21 jours. Le 4 novembre, la conciliation entre la Commission, le Parlement et le Conseil, s'est poursuivie par une guerre des chiffres pour le budget 2011. Les députés européens espèrent encore y faire valoir leurs attentes, en particulier le député européen Alain Lamassoure, président de la commission budgétaire du Parlement européen, qui a également publié un rapport remarqué sur le sujet ou encore le libéral Guy Verhofstadt, qui a appelé à un retour à l'esprit des "pères fondateurs" de l'UE. Car après tout, à sa création, la construction européenne n'était financée que par des ressources propres, comme des taxes douanières communes sur certaines productions. A méditer...

Traité de Lisbonne : l'Europe est-elle parvenue à la maturité politique ?


14 JUIN 2010 : Résumé du débat avec Jacques BARROT, ancien vice-président de la Commission européenne et membre du Conseil Constitutionnel, organisé par les Jeunes Centristes Yvelines et le Mouvement européen Yvelines. 

Guillaume Poirier : L’entrée en vigueur du traité de Lisbonne – le 1er décembre 2009 - a été le résultat d’un long processus de négociations entre les représentants des États membres. Dès son adoption, puis son entrée en vigueur, certains ont vu dans le Traité de Lisbonne le point culminant de la construction institutionnelle de l’Union européenne (UE). D’autres l’ont perçu comme une source de confusion supplémentaire dans la compréhension du fonctionnement européen, le traité étant perçu comme multipliant les responsables à la tête de l’UE.

Ce traité permet à l’UE d’être plus efficace, plus démocratique, mais également plus visible sur la scène internationale. Plus efficace puisque la majorité qualifiée est renforcée ; plus démocratique aussi puisque le Parlement européen voit son rôle de co-législateur consolidé tandis que les parlements nationaux sont davantage associés à l’élaboration des textes communautaires ; plus visible enfin avec la mise en place d’une présidence stable du Conseil européen et la création du Haut Représentant pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité.

Monsieur Jacques BARROT, vous avez été vice-Président de la Commission européenne pendant de nombreuses années, estimez-vous que le processus décisionnel de l’UE est parvenu à sa maturité ?
 
 
Jacques BARROT : Je souhaiterais élargir le débat au-delà du seul champ institutionnel. Le problème clé de l'Europe aujourd'hui, c'est la compétitivité. L'Union européenne est à la croisée des chemins. Et l'enjeu est important, les moteurs de l'économie mondiale se modifient : les 2/3 de la production industrielle mondiale se font entre Shanghai et Bombay. Nous ne pouvons donc parler d'Europe sans aborder ses difficultés dans le contexte économique actuel.

Pour revenir à votre question, le traité de Lisbonne constitue plusieurs apports significatifs, en particulier avec l'accroissement des prérogatives du parlement européen, mais également par l'extension de la majorité qualifiée au Conseil dans 90% des cas. Cependant, nous ne sommes pas allés jusqu'au bout de cette démarche. Nous avons du céder sur la désignation d'un commissaire par État membre, en raison du « non » irlandais. La commission compte ainsi toujours 27 commissaires. C'est très lourd. Il avait été prévu initialement 18 commissaires. Enfin, il a été créé une présidence stable du Conseil sans mettre fin aux présidences semestrielles des États membres, cela ne facilite pas le processus décisionnel.

Guillaume Poirier : Au regard de la crise financière actuelle et des difficultés de la zone euro, le traité de Lisbonne n'aurait-il pas pu prévoir un mécanisme de gouvernance économique ou la création d'un « fonds monétaire européen » ou encore une Agence européenne de la dette permettant à l'UE - dans le cadre d'un plan de relance commun - d'emprunter sur les marchés pour le compte des États à des taux préférentiels ?

Jacques BARROT : Il y a eu des progrès montrant la capacité de réaction de l'Europe. La crise a provoqué la mise en œuvre d'un fonds de soutien européen. Et une « task force » a vu le jour entre le président du Conseil Herman Van Rompuy et les ministres des finances ainsi que le président de la Banque Centrale Européenne, Jean-Claude Trichet. Dans le cadre du plan d'aide à la Grèce, les 2/3 des fonds sont prêtés par l'Europe et 1/3 par le FMI.

Enfin, les États membres ne se sont pas mis d'accord concernant les sanctions. La France souhaite un système de sanctions graduées alors que l'Allemagne a clairement fait comprendre qu'elle souhaitait priver de droit de vote les États membres trop laxistes.

Guillaume Poirier : Où en est le projet d'une vraie politique industrielle à l'échelle de l'Union européenne ?

Jacques BARROT : Le seul vrai problème réside dans la perte de compétitivité de l'Europe. Le défi est la convergence en matière d'investissements et de recherche. La stratégie de Lisbonne en matière d'économie de la connaissance a pris du retard. Plus particulièrement au sein de la zone euro, les disparités s'accroissent. Il nous faut une stratégie globale pour la compétitivité. L'Europe commence à manquer d'ingénieurs, de médecins et de chercheurs. De ce côté, l'Union européenne devrait peut-être davantage communiquer, car il y a un problème de communication entre les institutions et les populations. Peut-être créer un vrai média européen ?

La vraie opportunité pour l'UE, c'est sa puissance normative. Si les exportateurs chinois devaient davantage tenir compte des normes européennes, tout le monde y gagnerait.

De même en matière de stratégie énergétique : il conviendrait de créer une Communauté de l’énergie afin que l’Union Européenne parle d’une même voix pour acheter du pétrole et du gaz. Lorsque l'on sait que la Chine a besoin d'1/3 de l’énergie mondiale, on comprend d'autant moins les européens qui agissent chacun de leur côté.

Pourtant, lorsque l’UE parle d’une seule voix, cela fonctionne. Je prendrais comme exemple Galiléo. Mais l'une des parties au programme a accepté un transfert de technologie. Il en résulte que la Chine va se doter de son propre programme concurrent de Galiléo.

Enfin, en matière de défense, il faudrait mutualiser davantage et éviter les doublons. Est-il normal d'avoir 27 programmes de recherche militaires différents ?

Guillaume Poirier : Vous évoquez la mutualisation des programmes de recherche. Justement, le Parlement européen a vu ses compétences élargies et son rôle de co-législateur confirmé comme vous l'avez indiqué tout-à-l'heure. En termes de budget, le Parlement aura-t-il son mot à dire pour l’allocation des crédits à certaines agences européennes, telle que l’Agence européenne de la défense ?

Jacques BARROT : La question du budget européen est essentielle. Il faut à l'Europe des ressources propres plus importantes. Le budget actuel est trop limité. C'est un frein. La prochaine grande bataille sera celle du budget.

On a hésité à créer une vraie taxe carbone européenne. Non seulement un tel dispositif normatif serait un modèle mais ses recettes permettrait au budget européen de s'accroître. Le marché des « droits à polluer » aurait permis d'affecter des ressources financières supplémentaires au Budget Européen.

Nous rejoignons l'idée d'une nécessaire stratégie industrielle avancée précédemment : servons-nous de cette formidable opportunité qu'est le marché commun pour créer des normes et des standards pour les produits européens.

On ne peut pas reprocher à l'UE de ne pas être suffisamment présente – par exemple dans la gestion de la crise – si on l'empêche d'avoir un véritable budget pour agir. Si les ressources de l'UE sont trop faibles (à peine 1% du PIB européen), l'UE ne peut pas investir suffisamment, par exemple pour créer un réseau harmonisé de TGV européen. Certains ont avancé qu'il fallait commencer par une stratégie spécifique à la zone euro – ce serait déjà en soi une sorte de coopération renforcée pour aller plus vite selon eux – mais je n'y suis pas favorable car tous les États membres ont vocation à participer à l'effort communautaire. C'est aussi une autre forme d'intégration.

Actuellement, un grand nombre de dossiers sont liés à la qualité du dialogue franco-allemand. La France et l'Allemagne n'ont pas la même conception du niveau souhaitable des parités monétaires. Il y a également des divergences sur la façon de réagir face à la crise économique. L'Allemagne opte pour une politique de l'offre, la France essaye de relancer la demande.

Enfin, sur la question spécifique des investissements en matière industrielle, je crois qu'il manque à l’UE un Pentagone européen, ayant un budget promouvant la recherche (d’abord militaire puis civile, par exemple le GPS) et qui puisse favoriser les grands projets industriels transnationaux (exemple de Boeing).

Guillaume Poirier : Il y a eu ces dernières semaines dans plusieurs journaux anglo-saxons tels que le Financial Times ou le New York Times, des articles décrivant l'UE comme étant faible, divisée face à la crise, voire même instable. A l’aube des années 2000, la communauté internationale voyait dans l’UE la future grande puissance mondiale, avec une monnaie unique, l’ébauche d’une politique étrangère et de sécurité commune, deux pouvoirs régaliens par excellence. Dix ans plus tard, l’UE ne ferait plus autant rêver sur la scène internationale. Quel est votre point de vue ? Et, enfin, le traité de Lisbonne ne devrait-il pas clarifier la position de l'UE sur des grands dossiers comme le conflit israélo-palestinien ou le programme nucléaire iranien ?

Jacques BARROT : Le traité de Lisbonne a doté l’UE d’un président du Conseil et d’un Haut Représentant pour les Affaires étrangères. Ces nouvelles responsabilités sont accompagnées de la création d’un Service européen de l’action extérieure (SEAE). Ces innovations institutionnelles doivent renforcer la convergence de vues. Je suis d'accord avec vous pour dire que l'Europe devrait être plus impliqué dans la gestion du conflit israélo-palestinien. Pourtant, lorsque l'Europe veut, l'Europe peut. Lorsque j'étais commissaire européen aux Transports, j'avais réussi à négocier un plan de transport commun israélo-palestinien. Donc il y a des possibilités d'agir.

Catherine Ashton [la nouvelle représentante pour les affaires étrangères et la politique de sécurité] fait un travail qui n'est pas facile. La mise en œuvre du service européen d'action extérieure se heurte aux habitudes des diplomates qui représentent leur État. Plus globalement, j'observe des replis des États-membres sur eux-mêmes. Certains discours populistes sont de retour. Il est par conséquent difficile d'incarner une voix unique à l'extérieur de l'Europe. Cela prendra du temps.

Conclusion de Jacques BARROT

Pour conclure, je dirais que l'intégration progresse - par exemple, on a obtenu des avancées : on peut se faire soigner dans n’importe quel pays d’Europe et on est remboursé sur la base de son propre pays, ou encore dans les procès mettant en cause des citoyens de pays différents, il y a désormais un droit d’interprétariat.

L’Union Européenne a de nombreux points forts, elle demeure la pionnière en matière de droits de l’homme et d'environnement. L’Europe est une puissance de médiation, une puissance exigeante sur les valeurs (aide au développement, droits humains, lutte contre le réchauffement climatique). En terme de régulation financière, l'UE a également un rôle à jouer, nous le verrons avec le G20 à la fin du mois.

Mais l'Europe manque de souffle, la Commission ne communique pas suffisamment.

En matière d'immigration, l'Europe doit aller de l'avant. A partir de 2030, s’il n’y pas d’immigrations, l’Europe va entrer dans un cycle de vieillissement. Mais il faut une immigration coordonnée entre les 27 États membres et les pays d’origine. Nous avons besoin d’une immigration régulière et régulée. Par ailleurs l’Europe doit rester un modèle de valeurs aussi faut-il travailler pour une politique commune en matière d’asile. Il est indispensable, vital, d’offrir l’asile aux persécutés. Et il faut mieux structurer l’Europe avant de procéder à de nouveaux élargissements et avoir une politique de voisinage, avec les pays aux frontières de l’UE, qui soit plus généreuse.

Pour terminer, je dirais que l’Union Européenne doit bénéficier d'un budget important, et doit organiser une meilleure intégration politique de ses membres.

Propos recueillis
par Danielle CARSENAT, Alexandre MAINAUD et Guillaume POIRIER.
Versailles – juillet 2010.