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lundi 8 novembre 2010

Les improbables ressources propres de l'Union européenne

L'époque est à la restriction budgétaire – on le comprend – mais également au recul du degré d'ambition pour l'Europe. Ce sentiment n'est pas nouveau. L'Europe en a vu d'autres. Toutefois les réactions actuelles à l'égard de l'Union européenne laissent songeur. Plus inquiétant, ce sont les jeunes qui se montrent les plus eurosceptiques. C'est comme si on reprochait à l'Union européenne de ne pas aller assez vite et qu'on s'en détournait aussitôt pour cette raison, sans pour autant lui donner les moyens d'aller plus vite. Il ne s'agit pas d'aimer ou pas la construction européenne. Le débat n'est plus là. Il s'agit d'améliorer ce qui existe et d'avancer.

La question des ressources de l'Union européenne – et donc de ses moyens pour agir – est centrale. Particulièrement dans une période économique difficile. Aussi, la question n'est pas d'augmenter la participation de chaque État-membre au budget communautaire mais de laisser celui-ci se procurer de nouvelles ressources. Une taxe sur les voyages en avion, une TVA européenne, un impôt sur les sociétés, une taxe sur les ventes de quota d'émission de gaz à effet de serre, une taxe énergétique voire une taxe sur les transactions financières. Les idées ne manquent pas mais se heurtent finalement à des visions paradoxales.

  • Les plus fermes opposants rétorquent qu'en cette période de déséquilibre des comptes publics, ce n'est pas le moment d'accroître les ressources de l'UE. Mais avoir une telle vision, c'est considérer que seuls les États-membres doivent être les créditeurs de l'UE. Le problème doit être considéré différemment. Augmenter les ressources propres ne doit plus être forcément synonyme d'une augmentation de la participation des États-membres. Laissons l'Europe se procurer elle-même une part de ses ressources (comme ce fut le cas à ses débuts) sans que cela impacte la dite participation des États-membres.
  • D'autres indiquent que les projets doivent précéder la fiscalité, et non pas l'inverse et que l'Europe doit avoir une gestion plus rationnelle de ses ressources. C'est signifier que l'Europe n'a pas de nouveaux projets qui soient suffisamment crédibles pour légitimer une augmentation de son budget. Erreur ! Il y aurait tant à faire : un brevet européen, des gros projets d'infrastructures transnationaux, davantage d'investissements dans la recherche ou les technologies et services « verts », futurs vecteurs d'emploi. Ce n'est pas les projets qui manquent, c'est le budget. Et quant à la rationalité, c'est remettre en cause la répartition des dépenses affectées pour telle ou telle politique communautaire – et ce – avec l'agrément du Conseil, c'est à dire les États membres. Paradoxe.
  • Il y a enfin les modérés qui ne seraient pas opposés à l'idée d'une fiscalité européenne mais qui pointent notamment le poids que pourraient avoir de nouvelles ressources propres dans certains secteurs, dont celui des transports, en particulier visé par l'instauration d'une taxe sur le transport aérien.

Le 19 octobre 2010, la Commission Européenne publiait un communiqué dans lequel il était indiqué que le budget communautaire actuel est « un mélange opaque et confus de contributions des budgets nationaux, de corrections et de rabais ». Plusieurs pistes ont été avancées par le commissaire en charge du Budget, le Polonais Janusz Lewandowski. La France a fait savoir que l'idée d'un impôt européen était "parfaitement inopportune". L'Allemagne s'est déclaré franchement hostile à tout « impôt européen ».

Les questions fiscales étant décidées à l'unanimité des Vingt-Sept États-membres, le Parlement européen, fort de ses nouvelles compétences issues du Traité de Lisbonne, a voté le budget 2011 de l'UE (130,14 milliards d'euros de crédits de paiement et 142,65 milliards d’euros de crédits d'engagement) soit à peine 0,2% d'augmentation au lieu des 0,6% préconisés par la Commission. Donc aucune évolution réelle. Les députés européens ont donc posé dernièrement un ultimatum. Accepter la stagnation du budget communautaire à la seule condition d'un engagement des 27 à ouvrir le débat des ressources propres, dans le cadre d'une réflexion sur la réforme du budget européen à partir de 2014. Comme prévu, la passe d'arme avec le Conseil ne s'est pas fait attendre. A l'issue du vote, la présidence belge de l'UE a convoqué le comité de conciliation sur le budget de l'année prochaine, prévu à partir du 26 octobre, pendant 21 jours. Le 4 novembre, la conciliation entre la Commission, le Parlement et le Conseil, s'est poursuivie par une guerre des chiffres pour le budget 2011. Les députés européens espèrent encore y faire valoir leurs attentes, en particulier le député européen Alain Lamassoure, président de la commission budgétaire du Parlement européen, qui a également publié un rapport remarqué sur le sujet ou encore le libéral Guy Verhofstadt, qui a appelé à un retour à l'esprit des "pères fondateurs" de l'UE. Car après tout, à sa création, la construction européenne n'était financée que par des ressources propres, comme des taxes douanières communes sur certaines productions. A méditer...

Traité de Lisbonne : l'Europe est-elle parvenue à la maturité politique ?


14 JUIN 2010 : Résumé du débat avec Jacques BARROT, ancien vice-président de la Commission européenne et membre du Conseil Constitutionnel, organisé par les Jeunes Centristes Yvelines et le Mouvement européen Yvelines. 

Guillaume Poirier : L’entrée en vigueur du traité de Lisbonne – le 1er décembre 2009 - a été le résultat d’un long processus de négociations entre les représentants des États membres. Dès son adoption, puis son entrée en vigueur, certains ont vu dans le Traité de Lisbonne le point culminant de la construction institutionnelle de l’Union européenne (UE). D’autres l’ont perçu comme une source de confusion supplémentaire dans la compréhension du fonctionnement européen, le traité étant perçu comme multipliant les responsables à la tête de l’UE.

Ce traité permet à l’UE d’être plus efficace, plus démocratique, mais également plus visible sur la scène internationale. Plus efficace puisque la majorité qualifiée est renforcée ; plus démocratique aussi puisque le Parlement européen voit son rôle de co-législateur consolidé tandis que les parlements nationaux sont davantage associés à l’élaboration des textes communautaires ; plus visible enfin avec la mise en place d’une présidence stable du Conseil européen et la création du Haut Représentant pour les Affaires étrangères et la politique de sécurité.

Monsieur Jacques BARROT, vous avez été vice-Président de la Commission européenne pendant de nombreuses années, estimez-vous que le processus décisionnel de l’UE est parvenu à sa maturité ?
 
 
Jacques BARROT : Je souhaiterais élargir le débat au-delà du seul champ institutionnel. Le problème clé de l'Europe aujourd'hui, c'est la compétitivité. L'Union européenne est à la croisée des chemins. Et l'enjeu est important, les moteurs de l'économie mondiale se modifient : les 2/3 de la production industrielle mondiale se font entre Shanghai et Bombay. Nous ne pouvons donc parler d'Europe sans aborder ses difficultés dans le contexte économique actuel.

Pour revenir à votre question, le traité de Lisbonne constitue plusieurs apports significatifs, en particulier avec l'accroissement des prérogatives du parlement européen, mais également par l'extension de la majorité qualifiée au Conseil dans 90% des cas. Cependant, nous ne sommes pas allés jusqu'au bout de cette démarche. Nous avons du céder sur la désignation d'un commissaire par État membre, en raison du « non » irlandais. La commission compte ainsi toujours 27 commissaires. C'est très lourd. Il avait été prévu initialement 18 commissaires. Enfin, il a été créé une présidence stable du Conseil sans mettre fin aux présidences semestrielles des États membres, cela ne facilite pas le processus décisionnel.

Guillaume Poirier : Au regard de la crise financière actuelle et des difficultés de la zone euro, le traité de Lisbonne n'aurait-il pas pu prévoir un mécanisme de gouvernance économique ou la création d'un « fonds monétaire européen » ou encore une Agence européenne de la dette permettant à l'UE - dans le cadre d'un plan de relance commun - d'emprunter sur les marchés pour le compte des États à des taux préférentiels ?

Jacques BARROT : Il y a eu des progrès montrant la capacité de réaction de l'Europe. La crise a provoqué la mise en œuvre d'un fonds de soutien européen. Et une « task force » a vu le jour entre le président du Conseil Herman Van Rompuy et les ministres des finances ainsi que le président de la Banque Centrale Européenne, Jean-Claude Trichet. Dans le cadre du plan d'aide à la Grèce, les 2/3 des fonds sont prêtés par l'Europe et 1/3 par le FMI.

Enfin, les États membres ne se sont pas mis d'accord concernant les sanctions. La France souhaite un système de sanctions graduées alors que l'Allemagne a clairement fait comprendre qu'elle souhaitait priver de droit de vote les États membres trop laxistes.

Guillaume Poirier : Où en est le projet d'une vraie politique industrielle à l'échelle de l'Union européenne ?

Jacques BARROT : Le seul vrai problème réside dans la perte de compétitivité de l'Europe. Le défi est la convergence en matière d'investissements et de recherche. La stratégie de Lisbonne en matière d'économie de la connaissance a pris du retard. Plus particulièrement au sein de la zone euro, les disparités s'accroissent. Il nous faut une stratégie globale pour la compétitivité. L'Europe commence à manquer d'ingénieurs, de médecins et de chercheurs. De ce côté, l'Union européenne devrait peut-être davantage communiquer, car il y a un problème de communication entre les institutions et les populations. Peut-être créer un vrai média européen ?

La vraie opportunité pour l'UE, c'est sa puissance normative. Si les exportateurs chinois devaient davantage tenir compte des normes européennes, tout le monde y gagnerait.

De même en matière de stratégie énergétique : il conviendrait de créer une Communauté de l’énergie afin que l’Union Européenne parle d’une même voix pour acheter du pétrole et du gaz. Lorsque l'on sait que la Chine a besoin d'1/3 de l’énergie mondiale, on comprend d'autant moins les européens qui agissent chacun de leur côté.

Pourtant, lorsque l’UE parle d’une seule voix, cela fonctionne. Je prendrais comme exemple Galiléo. Mais l'une des parties au programme a accepté un transfert de technologie. Il en résulte que la Chine va se doter de son propre programme concurrent de Galiléo.

Enfin, en matière de défense, il faudrait mutualiser davantage et éviter les doublons. Est-il normal d'avoir 27 programmes de recherche militaires différents ?

Guillaume Poirier : Vous évoquez la mutualisation des programmes de recherche. Justement, le Parlement européen a vu ses compétences élargies et son rôle de co-législateur confirmé comme vous l'avez indiqué tout-à-l'heure. En termes de budget, le Parlement aura-t-il son mot à dire pour l’allocation des crédits à certaines agences européennes, telle que l’Agence européenne de la défense ?

Jacques BARROT : La question du budget européen est essentielle. Il faut à l'Europe des ressources propres plus importantes. Le budget actuel est trop limité. C'est un frein. La prochaine grande bataille sera celle du budget.

On a hésité à créer une vraie taxe carbone européenne. Non seulement un tel dispositif normatif serait un modèle mais ses recettes permettrait au budget européen de s'accroître. Le marché des « droits à polluer » aurait permis d'affecter des ressources financières supplémentaires au Budget Européen.

Nous rejoignons l'idée d'une nécessaire stratégie industrielle avancée précédemment : servons-nous de cette formidable opportunité qu'est le marché commun pour créer des normes et des standards pour les produits européens.

On ne peut pas reprocher à l'UE de ne pas être suffisamment présente – par exemple dans la gestion de la crise – si on l'empêche d'avoir un véritable budget pour agir. Si les ressources de l'UE sont trop faibles (à peine 1% du PIB européen), l'UE ne peut pas investir suffisamment, par exemple pour créer un réseau harmonisé de TGV européen. Certains ont avancé qu'il fallait commencer par une stratégie spécifique à la zone euro – ce serait déjà en soi une sorte de coopération renforcée pour aller plus vite selon eux – mais je n'y suis pas favorable car tous les États membres ont vocation à participer à l'effort communautaire. C'est aussi une autre forme d'intégration.

Actuellement, un grand nombre de dossiers sont liés à la qualité du dialogue franco-allemand. La France et l'Allemagne n'ont pas la même conception du niveau souhaitable des parités monétaires. Il y a également des divergences sur la façon de réagir face à la crise économique. L'Allemagne opte pour une politique de l'offre, la France essaye de relancer la demande.

Enfin, sur la question spécifique des investissements en matière industrielle, je crois qu'il manque à l’UE un Pentagone européen, ayant un budget promouvant la recherche (d’abord militaire puis civile, par exemple le GPS) et qui puisse favoriser les grands projets industriels transnationaux (exemple de Boeing).

Guillaume Poirier : Il y a eu ces dernières semaines dans plusieurs journaux anglo-saxons tels que le Financial Times ou le New York Times, des articles décrivant l'UE comme étant faible, divisée face à la crise, voire même instable. A l’aube des années 2000, la communauté internationale voyait dans l’UE la future grande puissance mondiale, avec une monnaie unique, l’ébauche d’une politique étrangère et de sécurité commune, deux pouvoirs régaliens par excellence. Dix ans plus tard, l’UE ne ferait plus autant rêver sur la scène internationale. Quel est votre point de vue ? Et, enfin, le traité de Lisbonne ne devrait-il pas clarifier la position de l'UE sur des grands dossiers comme le conflit israélo-palestinien ou le programme nucléaire iranien ?

Jacques BARROT : Le traité de Lisbonne a doté l’UE d’un président du Conseil et d’un Haut Représentant pour les Affaires étrangères. Ces nouvelles responsabilités sont accompagnées de la création d’un Service européen de l’action extérieure (SEAE). Ces innovations institutionnelles doivent renforcer la convergence de vues. Je suis d'accord avec vous pour dire que l'Europe devrait être plus impliqué dans la gestion du conflit israélo-palestinien. Pourtant, lorsque l'Europe veut, l'Europe peut. Lorsque j'étais commissaire européen aux Transports, j'avais réussi à négocier un plan de transport commun israélo-palestinien. Donc il y a des possibilités d'agir.

Catherine Ashton [la nouvelle représentante pour les affaires étrangères et la politique de sécurité] fait un travail qui n'est pas facile. La mise en œuvre du service européen d'action extérieure se heurte aux habitudes des diplomates qui représentent leur État. Plus globalement, j'observe des replis des États-membres sur eux-mêmes. Certains discours populistes sont de retour. Il est par conséquent difficile d'incarner une voix unique à l'extérieur de l'Europe. Cela prendra du temps.

Conclusion de Jacques BARROT

Pour conclure, je dirais que l'intégration progresse - par exemple, on a obtenu des avancées : on peut se faire soigner dans n’importe quel pays d’Europe et on est remboursé sur la base de son propre pays, ou encore dans les procès mettant en cause des citoyens de pays différents, il y a désormais un droit d’interprétariat.

L’Union Européenne a de nombreux points forts, elle demeure la pionnière en matière de droits de l’homme et d'environnement. L’Europe est une puissance de médiation, une puissance exigeante sur les valeurs (aide au développement, droits humains, lutte contre le réchauffement climatique). En terme de régulation financière, l'UE a également un rôle à jouer, nous le verrons avec le G20 à la fin du mois.

Mais l'Europe manque de souffle, la Commission ne communique pas suffisamment.

En matière d'immigration, l'Europe doit aller de l'avant. A partir de 2030, s’il n’y pas d’immigrations, l’Europe va entrer dans un cycle de vieillissement. Mais il faut une immigration coordonnée entre les 27 États membres et les pays d’origine. Nous avons besoin d’une immigration régulière et régulée. Par ailleurs l’Europe doit rester un modèle de valeurs aussi faut-il travailler pour une politique commune en matière d’asile. Il est indispensable, vital, d’offrir l’asile aux persécutés. Et il faut mieux structurer l’Europe avant de procéder à de nouveaux élargissements et avoir une politique de voisinage, avec les pays aux frontières de l’UE, qui soit plus généreuse.

Pour terminer, je dirais que l’Union Européenne doit bénéficier d'un budget important, et doit organiser une meilleure intégration politique de ses membres.

Propos recueillis
par Danielle CARSENAT, Alexandre MAINAUD et Guillaume POIRIER.
Versailles – juillet 2010.

lundi 22 mars 2010

€urozone: vers une crise historique ?

Publié sur Agoravox.fr le 24 mars 2010

Les 25 et 26 mars prochains, les chefs d'État et de gouvernement vont se réunir à Bruxelles. Une occasion très attendue pour statuer sur un éventuel mécanisme de soutien à la Grèce.

Depuis plusieurs mois, la tension monte au sein de la zone euro, suite à la dégradation des finances publiques grecques, consécutive à la crise économique. La crise n'est pas la cause de cette dégradation, elle n'en est que le révélateur. Depuis de nombreuses années, l'État grec a été taxé par ses partenaires européens de laxisme, voire même de tricherie statistique sur la gestion de ses finances publiques. La dégradation de sa note auprès des marchés financiers en a été l'une des conséquences.

Divergences au sommet

Le vrai problème réside sans doute dans la manière de régler la situation. Or de ce point de vue, les dirigeants des États membres de la zone euro se sont plus fait entendre par leur divergences que par leur esprit de solidarité. Au premier rang desquels, l'Allemagne. Le 17 mars, Angela Merkel a clairement fait entendre son opposition à un soutien financier de la Grèce. Tout y est passé. Des députés allemands suggérant même à la Grèce de céder ses îles pour se renflouer ou la suspension « pour au moins un an » du droit de vote de la Grèce au Conseil européen ou encore de proposer l'exclusion de la Grèce de la zone euro, ne laissant finalement à celle-ci comme seule alternative que le recours au Fonds Monétaire International (FMI). Or, comme le dit très justement Jean-Claude Trichet, président de la Banque Centrale Européenne (BCE), exclure un membre de la zone euro est une « hypothèse absurde ». La création d'un fonds monétaire européen (FME) serait également à l'étude, mais une telle création institutionnelle nécessite du temps à mettre en œuvre et ne règle en rien à court terme le problème.

Traumatismes allemands

Pour autant, rien ne sert de fustiger les responsables politiques allemands. Un membre du gouvernement français a récemment indiqué avoir trouvé le ministre des finances allemand, Wolfgang Schäuble, « très donneur de leçons et bien peu intéressé par l'Europe ». Cette façon de voir paraît curieuse si l'on considère que Monsieur Schäuble est justement celui qui est le plus en phase avec le credo européen au sein des membres du gouvernement fédéral allemand. En fait, derrière les réticences allemandes à davantage de solidarité européenne, ne se cache pas seulement la volonté de l'Allemagne de « faire payer » un État membre de la zone euro jugé laxiste depuis de nombreuses années, mais également le sentiment d'avoir été trahi. On leur avait promis, lorsqu'ils ont abandonné le Deutsche mark, qu'ils n'auraient jamais à payer pour les États membres qui ne respecteraient pas la règle. « Il faut attaquer le problème à la racine » indiquait récemment Mme Merkel, au risque d'irriter ses partenaires européens tel que la France, favorable à davantage de solidarité pour ne pas mettre en péril l'intégration monétaire européenne. Mais pour la Chancelière, une aide financière immédiate ne réglerait en rien le problème.

Mme Merkel doit également tenir compte de l'hostilité croissante de l'opinion publique allemande à aider un pays qui n'a pas assumé ses responsabilités. Pour les allemands, l'orthodoxie budgétaire est une obligation (la Constitution fédérale limite le déficit fédéral à 0,35% du PIB à partir de 2016). Traumatisés par le souvenir de l'inflation, ils souhaitent une monnaie forte et font valoir que les traités européens interdisent tout renflouement d'un État membre en difficulté et craignent un mauvais exemple laissant la porte ouverte aux excès des plus endettés. L'Allemagne a payé cher sa réunification, par une perte de compétitivité, une dégradation de ses comptes publics et l'abandon du mark pour l'Euro. Ils s'en sont sorti en se serrant la ceinture avec les réformes Schröder (Agenda 2000) avec la diminution de leur pouvoir d'achat, de leur protection sociale, le blocage des salaires et le recul du départ en retraite à 67 ans. Les allemands conçoivent donc mal que les autres États membres de la zone euro n'aient pas eu à faire ces sacrifices et refusent de payer pour eux. Ce en quoi, ils n'ont pas complètement tort.

Quelles solutions à court-terme ?

La solution actuellement à l'étude résiderait dans un mécanisme de prêts bilatéraux avec des taux d'intérêts plus élevés que la moyenne de la zone euro. Mais une telle solution nécessite encore l'aval des chefs d'État et de gouvernement et Athènes est aux abois. « C'est un point sur lequel on devrait pouvoir attendre que l'Union européenne puisse être à la hauteur des attentes » et une occasion « que nous ne devrions pas manquer » a mis en garde le premier ministre grec, Georges Papandreou, le 18 mars dernier. En d'autres termes, si une solution n'est pas rapidement mise sur la table et acceptée par les dirigeants européens, la Grèce n'aura d'autre choix que de recourir au FMI, solution qui serait jugée comme un désaveu durable de l'intégration monétaire européenne. Pourtant certains États de la zone euro, tels que l'Allemagne, la Finlande, les Pays-Bas ainsi que des États hors zone euro tels que la Grande-Bretagne et la Suède, ne seraient pas totalement hostiles à ce recours.

Athènes ne ménage pourtant plus ses efforts pour prendre des mesures d'austérité douloureuses, répondant ainsi aux exigences de l'UE. Néanmoins, les taux d'intérêts qu'elle doit actuellement payer pour emprunter auprès des marchés sont encore intenables, environ 6%, soit près du double que les taux proposés à l'Allemagne lorsqu'elle emprunte sur les marchés.

Vers une nouvelle gouvernance monétaire ?

La crise grecque a finalement fait apparaître les carences de l'Union monétaire et son absence de mécanisme de coordination entre États membres. Depuis le début de la tempête financière, les allemands se sont opposé à une stratégie commune de sortie de crise. Néanmoins, ils n'ont pas tort de critiquer le laxisme de certains, mais en temps de crise, la critique est mal perçue. De son côté la Grèce met fin à ses mauvaises habitudes, et fait preuve de bonne volonté. Un accord politique serait-il donc si difficile à obtenir dans ces conditions jeudi et vendredi prochains ? Car le temps presse et la Grèce a besoin de 50 milliards d'euros à partir du mois d'avril. Si aucune solution n'est trouvée à la fin de la semaine, un État membre de la zone euro devra faire appel au FMI, en d'autres termes : être mis sous tutelle internationale... Ce fut déjà le cas pour la Hongrie et la Lettonie, mais ces deux États ne sont pas membres de la zone euro. Il resterait encore la solution d'une intervention du FMI qui laisserait à l'UE un rôle-clé.

Finalement, les allemands pourraient bien accepter de soutenir la Grèce in extremis, mais la contrepartie serait claire : la reprise en main allemande sur la destinée de l'Union monétaire. Et ça tombe bien pour Berlin puisque le mandat de Jean-Claude Trichet arrive bientôt à son terme. Selon les observateurs à Francfort, le choix de Vitor Constancio, gouverneur de la Banque du Portugal, comme futur vice-président de la BCE ouvre la porte à Axel Weber, président de la Bundesbank, pour la succession de Jean-Claude Trichet, dont le mandat s'achèvera fin 2011. Les États membres vont-ils enfin accepter de doter la Commission européenne d'un vrai pouvoir de vérification et de sanction ? Dans tous les cas, un tour de vis vers davantage de rigueur budgétaire dans la zone euro est plus que jamais à l'ordre du jour.
GP

jeudi 4 mars 2010

Lady Ashton veut-t-elle « tuer le job » ?!


Dans mon précédent article du 15 décembre sur le Traité de Lisbonne, j'indiquais qu'en dépit du fait que Monsieur Van Rompuy et Madame Ashton ne paraissaient pas être les nominés rêvés, il convenait de leur laisser leur chance. Or, trois mois après sa nomination au poste de Haut-Représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, et depuis peu, Vice-Présidente de la Commission européenne en charge des relations extérieures, Lady Ashton n'en finit pas de faire parler d'elle.

Haïti

Le premier révélateur « officiel » de ce qui est de plus en plus considéré à Bruxelles, voire même dans les capitales européennes, comme de l'amateurisme, a été la réaction d'Ashton suite au séisme à Haïti. Alors que son homologue américaine, Hillary Clinton, s'est rendue, dès le 15 janvier, à Haïti pour manifester le soutien des États-Unis aux populations et au pays ravagé, Ashton est rentrée chez elle à Londres pour le week-end. De sorte que la visibilité de l'Union européenne et des Etats-membres, qui ont accordé près de 430 millions de dollars à Haïti pour la reconstruction, a été proche de zéro. Loin derrière la visibilité des États-Unis dont le montant des aides se chiffre à 100 millions de dollars. De retour à Bruxelles, le 18 janvier, elle s'emmêle les pinceaux lors de la conférence de presse consacrée à Haïti, laissant finalement la parole à Miguel Angel Moratinos, le chef de la diplomatie espagnole dont le pays assure la présidence tournante de l’Union. Affligeante interprétation du Traité de Lisbonne.... Outre le fait qu'elle ne s'est toujours pas rendu à Haïti, laissant l'initiative à Karel De Gucht, commissaire au développement, elle n'a pas non plus daigné se rendre à la conférence des donateurs à Montréal, arguant qu'elle devait présider le Conseil des ministres des Affaires étrangères à Bruxelles. La diplomatie, Madame Ashton, ne se contente pas de bureaucratie, c'est également une histoire de symbole et de représentativité, surtout lorsque l'on est censé représenter l'Union européenne !

Défense européenne

S'il y a bien un sujet sur lequel Madame Ashton n'a pas encore montré d'appétences particulières, c'est la défense européenne. Ne voyant par exemple pas l'intérêt d’un État-major européen qui risque de faire concurrence à l’OTAN, elle a récidivé début février, dans un entretien à l’AFP, en affirmant qu’elle continuait à soutenir l’entrée en guerre de son pays – le Royaume-Uni – contre l’Irak. La semaine dernière encore, la présidence espagnole a organisé les 23 et 24 février une rencontre informelle des ministres de la Défense, à Palma de Majorque. Lady Ashton a indiqué qu'elle ne pouvait pas être présente. Officiellement en raison de contraintes d'agenda, puisqu'elle devait se rendre à Kiev pour rencontrer le président ukrainien récemment élu. Son prédécesseur à la politique de sécurité, Javier Solana, n'avait pourtant jamais manqué l'une de ces réunions, comme le souligne très justement Jean Quatremer dans son blog; il y a donc là une question de priorité. Entre le développement de la coopération européenne en matière de défense et l'investiture d'un président ukrainien notoirement pro-russe, Ashton a choisi, même si sa présence à Kiev ne fera pas d'infléchir le nouveau président. Étonnante façon de gérer son agenda, Lady Ashton ! Et pourtant même Anders Fogh Rasmussen, ancien premier ministre danois et actuel Secrétaire Général de l'OTAN s'est rendu disponible.

Un agenda incompatible avec le traité de Lisbonne ?

Mais revenons sur la manière d'appréhender les prérogatives du Haut-Représentant. Lady Ashton n'a jamais caché qu'elle n'avait pas le désir « de faire 300.000 km par an comme son prédécesseur Javier Solana », arguant du fait que sa « vie professionnelle et familiale » seraient difficilement conciliables. Or un ministre des affaires étrangères qui ne se déplace qu'au compte-goutte, n'en est pas un. Il y a enfin la composition de l'équipe. En dépit du fait qu'elle ne s'exprime qu'en anglais, la moitié des effectifs sont britanniques, cela ne risque donc pas de l'aider à s'exprimer dans l'une des autres langues officielles de l'UE. De plus, son équipe se compose essentiellement de spécialistes des Balkans, curieux focus sur ce qui n'est plus aujourd'hui un enjeu de politique étrangère mais plutôt de politique de voisinage pour des pays préparant leur adhésion à l'UE.

Alors les prérogatives comprises par le Traité de Lisbonne, pour ce nouveau poste de Haut-Représentant sont-elles trop étendues ? Où est-ce parce que Catherine Ashton n'a pas l'envergure, ni la vision nécessaires ?
Car l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne est également le synonyme de la création d'un vrai service européen d'action extérieur (SEAE), pour lequel elle doit donner l'impulsion, avec à la clé la fusion de services précédemment distincts dépendant de la Commission européenne où du Conseil des Ministres. En bref, il y a tout à construire. Et ce n'est pas la Commission européenne qui l'aidera dans cette tâche, ni le tout nouveau président du Conseil européen, Herman Van Rompuy, qui a déjà fait comprendre qu'il souhaite exister lui aussi sur la scène internationale.

Pour résumer, «elle n’a pour l’instant ni l’équipe, ni la profondeur, ni l’intention de faire de ce poste ce qu’il aurait dû être», a récemment estimé un diplomate européen qui redoute qu’elle «tue» le job. Ces atermoiements ont déjà eu un résultat : Barack Obama a décidé de ne pas se rendre au sommet annuel Union européenne/États-Unis qui devaient avoir lieu à Madrid, les 24 et 25 mai 2010. Est-ce une manière d'indiquer son agacement devant l’incapacité de l’UE à parler d’une seule voix ? 
GP