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mardi 15 décembre 2009

Traité de Lisbonne : une baronne et un premier ministre pour représenter l'UE.


Publié sur Agoravox.fr le 16 décembre 2009

Entré en vigueur le 1er décembre, après un long processus de ratification, le traité de Lisbonne a malheureusement fait l'effet d'un soufflé retombé un peu trop vite.

Et pourtant, sans vouloir détailler toutes les innovations institutionnelles, le traité de Lisbonne permet à l'UE d'établir une présidence stable du Conseil européen, de créer un Haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, ainsi qu'un service diplomatique commun (SEAE), de généraliser la codécision entre le Parlement européen (unique institution élue par les citoyens) et les Etats membres, d'étendre la majorité qualifiée et les coopérations renforcées, de rendre contraignant la charte des droits fondamentaux et de renforcer le droit de regard des Parlements nationaux dans l'élaboration des textes européens. Sans vouloir poursuivre l'inventaire de tous ces changements résultant de l'entrée en vigueur du traité, concentrons-nous ici sur les visages que les Vingt-Sept ont choisi pour représenter l'UE.

Le nouveau visage de l'Union

On peut se réjouir de la création de ces deux fonctions - président du Conseil européen et haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité - mettant ainsi fin à l'interrogation d'Henry Kissinger, lequel dans les années 1970 se demandait quel numéro de téléphone il devait composer pour converser avec un représentant de la Communauté économique européenne (CEE). L'occasion également de personnaliser des institutions jugées parfois éloignées des citoyens européens.

Jusqu’à présent, un Etat-membre occupait à tour-de-rôle une présidence tournante semestrielle, ce qui rendait difficile une vraie continuité de l'action des Etats-membres, en particulier les plus volontaristes. Désormais, un président est désigné par les chefs d'Etat et de gouvernement pour une durée de deux ans et demi, renouvelable une fois. Il prendra le pas sur les présidences semestrielles, même si les présidences tournantes ne disparaissent pas, assurant la présidence des réunions consacrées aux « affaires générales ». Le nouveau président assurera la représentation extérieure de l'Union en matière d'affaires étrangères et de sécurité et aura pour rôle principal de faciliter les compromis au sein des Conseils qu'il présidera.
Désigné pour cinq ans, le haut représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité commune voit ses pouvoirs renforcés, afin de répondre à la nécessité de clarté dans l’action extérieure de l’UE. Car derrière le titre pompeux, cela permet de fusionner les postes détenus – jusqu'à présent – par Javier Solana et Benita Ferrero-Waldner, créant ainsi une sorte de « porte-parole unique » de la diplomatie commune. Le haut représentant version Lisbonne préside le conseil des ministres des affaires étrangères. Sa fonction l'amène également à être vice-président de la Commission. Son action sera relayé par la création d’un service diplomatique européen (SEAE), lequel regroupera un effectif de 6 000 personnes et doté d’un budget conséquent d’environ 7 milliards d’euros. Toutes ces innovations vont peut-être contribuer, comme l'a indiqué Carl Bildt, le chef de la diplomatie suédoise, à ce que « les relations avec les autres pays de l’Union ne soient plus considérées comme des affaires étrangères ».

Mais inutile de se leurrer. La politique étrangère restera de la compétence exclusive des États. À l'instar de Javier Solana, le nouveau chef de la diplomatie européenne risque de ne pouvoir se faire entendre que si les Vingt-Sept trouvent un compromis.

Petits arrangements entre amis.

Alors que les observateurs avaient fait la prédiction d'un conseil européen longuissime, les chefs d'Etat et de gouvernement de l'Union ont résolu mi-novembre, à Bruxelles – en un temps record – la question de savoir qui allait être le visage de l'Europe.

Nous ne rentrerons pas dans le débat lié à la prérogative des Etats-membres de pouvoir désigner entre-eux les deux nominés. Ceux qui contestent ce processus en invoquant le manque de légitimité démocratique ne doivent pas connaître grand chose au fonctionnement des institutions communautaires. Celles-ci impliquent deux types de légitimités inhérentes à la construction communautaire : la légitimité démocratique incarnée par les élus du Parlement européen et la légitimité des Etats-membres, incarnée par le Conseil. Or, il ne s'agissait pas d'élire un « super président de l'Europe » comme certains semblent le croire, mais quelqu'un dont la fonction principale serait de présider les réunions du Conseil – composé des représentants des Etats-membres – et qui puisse arbitrer efficacement en vue de trouver des compromis. Il est donc normal que ces deux nominations, en particulier celle de président du Conseil, soient du ressort des Etats membres. D’autant que, comme nous le verrons plus loin, les principales formations politiques du Parlement européen ont également eu une part dans le choix des personnalités. La question ne porte donc pas sur la légitimité du mode de désignation mais sur les désignés eux-mêmes, qui peuvent paraître contestables si l’on considère que leur curriculum vitae respectif ne les prédestinait guère à ces fonctions de premier plan.

D'emblée, les différents acteurs du processus de nomination – les Etats-membres et les groupes politiques issus des élections européennes de juin – se mettent d'accord sur une règle de l'alternance: le poste de président du Conseil ira à un candidat conservateur et le poste de haut représentant ira à un candidat socialiste. Puis un second critère entre en jeu, au nom de la parité, la nécessité de désigner soit un homme au premier poste et une femme au second poste, soit l'inverse.

L'année dernière, le poste de président du conseil semblait acquis à Tony Blair, malgré plusieurs critiques. Mais le résultat des européennes de juin a remis en cause la candidature du travailliste à partir du moment où le poste de président du Conseil européen devait revenir à la droite, majoritaire dans l'Union. L'intervention de Martin Schulz, président du groupe socialiste européen (PSE) a – in fine – joué dans la balance en défaveur de Blair, lequel n'avait pas non plus la faveur d'Angela Merkel. De son côté, Schulz militait pour confier le poste de haut représentant des affaires étrangères à l’ancien premier ministre italien, Massimo D’Alema. Mais ce dernier, au passé communiste, l'anti-symbole vingt ans après la chute du Mur, rencontrait l'opposition des Etats d'Europe centrale et orientale. Le Luxembourgeois Jean-Claude Juncker, qualifié pour le poste de président du Conseil, n'était pas non plus en odeur de sainteté, mais cette fois-ci à l'Elysée. Finalement, l'Espagnol Miguel Angel Moratinos, en faveur auprès de M. Sarkozy et Mme Merkel, a rencontré l'opposition de M. Brown, inquiet d'une reconstitution de l'axe franco-allemand. D'autres candidats ont été invoqués, tels que l'ancien premier ministre Danois, M. Rasmussen ainsi que la charismatique Veira Vike Freiberga, ex-présidente conservatrice lettone, laquelle – soit dit en passant – aurait fait une parfaite présidente du Conseil.

Gordon Brown a renoncé à Blair et à une présidence confiée à un britannique, à condition d'obtenir le poste de haut représentant. Paris et Berlin ont accepté. Ni Paris, ni Berlin ne souhaitaient que Gordon Brown rentre les mains vides, camouflet dont son opposant conservateur, le très eurosceptique David Cameron, pourrait tirer parti pour la campagne des élections législatives du printemps 2010 qui s'annoncent difficiles. M. Brown a donc proposé trois possibilités : son ministre du commerce et ancien commissaire européen, Peter Mandelson, l’ancien ministre de la Défense de Tony Blair, Geoff Hoon, ou Catherine Ashton, l’actuelle commissaire européenne au commerce. On imaginait mal le PSE accepter la candidature de Mandelson. Et finalement, c’est la manifestation du 18 novembre à Bruxelles, de députées européennes vêtues en costume-cravate en signe de protestation contre le manque de parité, qui semble avoir emporté la décision. Londres proposait donc Catherine Ashton, « Baroness » of Upholland. La surprise fut totale même pour la principale intéressée qui confiait à la presse, le soir même de sa nomination, son manque de préparation.

Ce choix en faveur d’une femme pour le poste de haut représentant des Affaires étrangères sonne le glas de la candidature de Veira Vike Freiberga, qui avait toutes ses chances au poste de présidente du Conseil si les travaillistes avaient présenté la candidature d'un homme au poste de haut représentant. Il a donc fallu trouver un homme conservateur pour le poste de président : Juncker étant hors-jeu par le veto élyséen, les Vingt-Sept se mettent d'accord sur le nom du premier ministre Belge, peu connu en dehors du Benelux. Berlin et Paris n'y voient pas d'objection. Herman Van Rompuy est donc désigné, ayant comme principal atout qu'aucun chef d'Etat ou de gouvernement d'un Etat-membre n'ai quelque chose à dire contre lui. Cela ne veut pas dire pour autant qu'il suscite l'enthousiasme. On comprend José Manuel Barroso se félicitant d'un tel choix. De fait, on imagine mal les deux nominés lui tenir tête.

N'est pas Churchill qui veut...

Ancien élève des jésuites, le chrétien-démocrate, Herman Van Rompuy est le nouveau Président du Conseil européen. Habile négociateur et cultivé, on s'en souvient en Belgique comme d'un ancien ministre des finances rigoureux. Premier ministre belge depuis une dizaine de mois, il est connu pour sa facilité à négocier des compromis. Les Etats membres ont montré en le choisissant leur volonté de ne pas avoir une personnalité trop charismatique ou trop connue, capable de porter loin la voix de l'UE. Bien sûr, ce n'est que le début de son mandat, mais il est difficile pour les citoyens européens, que nous sommes, de comprendre la nomination d'un homme politique n'ayant jamais vraiment indiqué publiquement la nature de ses convictions européennes. Tout ce que l'on en sait, c'est qu'il est farouchement opposé à l'adhésion de la Turquie, est attaché au fédéralisme européen et croit nécessaire la création d'un impôt «vert» communautaire.

Epouse du fondateur de YouGov, un institut de sondages britannique, Catherine Ashton est nommée par Tony Blair membre de la chambre des Lords en 1999 – ce qui la transforme en baronne – puis secrétaire d'Etat. Elle remplace Peter Mandelson comme commissaire européenne au Commerce, en octobre 2008, lorsque celui-ci revient au gouvernement. Ancienne militante du désarmement nucléaire, sans expérience diplomatique et bien qu'elle n'ait jamais affronté les urnes, son curriculum vitae ne la qualifiait pas comme Haut représentant même si Mme Ashton a récemment pris de l'envergure. Personne ne conteste ses compétences, ni son sens politique. Nommée pour cinq ans, Catherine Ashton devra «conduire la politique étrangère […] et contribuer à son élaboration». Elle a désormais le mandat et la durée, c'est-à-dire la possibilité d’influer sur l'agenda. Mais en aura t'elle la possibilité ? En effet, Londres est satisfait d’avoir installé à ce poste une personnalité de second plan : «le haut représentant, ce sera tout sauf un ministre européen des Affaires étrangères», indiquait, peu après la nomination, un responsable britannique, peu enclin à un hyper-activisme diplomatique de l’UE. Les médias britanniques et la City l'ont interprété autrement, considérant avoir « joué le mauvais cheval » en permettant – en échange de la nomination d’un britannique à ce poste – au Français Michel Barnier de s'installer dans le fauteuil de commissaire au marché intérieur, en ces temps de volonté de régulation financière.

Quels enjeux ?

Nous ne rentrerons pas dans les raisonnements défaitistes qui jugent que le choix des Vingt-Sept confirme le fait que l'Europe ait « ajourné toute ambition collective sur la scène mondiale ». C'est d'ailleurs juridiquement faux de le prétendre dans le contexte du traité qui ouvre à l'UE le champ des possibles en terme d'influence internationale. Certes, il faut reconnaître qu’il leur sera difficile de sortir du rôle de « gestionnaire des affaires courantes » dans lequel on voudra les enfermer. Déjà, l’Espagne, qui assurera la prochaine présidence tournante de l’Union, a indiqué qu’elle présiderait les réunions informelles des ministres des Affaires étrangères qui aura lieu à Cordoue, à la place de Mme Ashton. De son côté, le premier ministre Zapatero a exigé de siéger aux côtés de Van Rompuy lors des sommets entre l’Union et les pays tiers. Ce n'est pas bon signe.
Il convient donc de laisser du temps à nos deux protagonistes. L'Histoire – la grande – les jugera sur leur capacité à rapprocher les citoyens du débat public communautaire, sur leur audace à renouveler le mode de gouvernance européenne que leur accorde l'entrée en vigueur du traité, et enfin sur leur capacité à incarner l'Union européenne sur la scène internationale.
GP

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